Séraphine LOUIS, l'ange au plumeau
Article paru dans l'Express :
Comment, il y a un siècle, une bonne à tout faire se mit à peindre des tableaux inspirés comme des prières. Un film, un livre et une exposition rendent grâce au génie de Séraphine Louis.
C'est comme si la grâce les avait touchés : Françoise Cloarec, la peintre psychanalyste, Martin Provost, le réalisateur écrivain, Yolande Moreau, la comédienne, et, bien avant eux, Wilhelm Uhde, le collectionneur homosexuel allemand... Tous fascinés par Séraphine, femme de ménage le jour, peintre la nuit, habitée en permanence par l'immanence de l'au-delà. Et aujourd'hui héroïne d'un livre, d'un film, d'une exposition.
Reprenons. Au départ, il y a donc Séraphine (1864-1942). Pauvre parmi les pauvres, héroïne à la Zola dans cette fin d'un xixe siècle guère solidaire. Orpheline à 7 ans, placée à 13 comme domestique à Paris puis comme bonne à tout faire dans l'Oise, Séraphine Louis entre chez les soeurs en 1881. Elle n'y est pas religieuse, mais tâcheronne. Vingt ans de couvent, vingt ans hors du monde, qui épanouissent son mysticisme. Le jour où la Sainte Vierge lui intime l'ordre de peindre, elle s'exécute, concevant ses propres couleurs, créant, sans académisme, sans culture et jusqu'au vertige, de foisonnantes compositions inspirées, telles des prières, par la nature de son enfance, les champs de fleurs sauvages, l'odeur de l'herbe.
« Séraphine parle le langage des fleurs », écrit Françoise Cloarec dans l'essai littéraire qu'elle vient de tirer de sa thèse de doctorat sur ce « cas de peinture spontanée ». « C'est une visionnaire », ajoute Martin Provost, qui a porté sa vie à l'écran dans Séraphine. Elle a peint « l'une des oeuvres les plus puissantes de l'Histoire », estimait, pour sa part, le critique et marchand d'art Wilhelm Uhde, découvreur, excusez du peu, de Picasso, de Braque, de Marie Laurencin ou du Douanier Rousseau. C'est en 1907 qu'il tombe par hasard sur les tableaux colorés de l'extravagante femme de ménage de son logis de Senlis. Il s'enflamme, au grand dam de la bonne bourgeoisie, pour les talents exceptionnels de celle qu'il qualifiera de « primitif moderne », au même titre que Rousseau, Bombois, Bauchant. Elle connaîtra une brève heure de gloire à la fin des années 1920, avant d'être internée pour « psychose chronique » dans l'un des effroyables hôpitaux psychiatriques de l'époque.
« Si cela pouvait changer notre regard sur l'autre », espère Françoise Cloarec, en bonne psychanalyste ; « Elle m'a transmis une énergie bienveillante. J'ai voulu lui faire justice », explique Provost, qui en profite pour saluer la prestation exceptionnelle de sa Séraphine, Yolande Moreau. Tous trois se sentent investis par une mission de réhabilitation. Non que Séraphine de Senlis, ainsi que les historiens de l'art l'ont dénommée, soit tombée dans l'oubli - ses toiles ornent les murs de différents musées, de Paris à Senlis, de Nice à Laval ou Grenoble - mais il est vrai que la notoriété de l'étrange dame n'a pas encore dépassé le cercle restreint des spécialistes de l'art brut et celui des... psychiatres.
Séraphine, de Martin Provost. En salles le 1er octobre.
Exposition Séraphine de Senlis, musée Maillol, Paris (VIIe). Du 1er octobre 2008 au 5 janvier 2009. Catalogue publié Gallimard.
Séraphine, par Françoise Cloarec. Phébus (le 2 octobre). A lire aussi : la réédition de Séraphine, par Alain Vircondelet (Albin Michel).
Je n'avais jamais entendu parler de cette artise peintre. Ce qui me choque profondément, c'est que cette femme qui ne faisait de mal à personne, ait été internée de manière aussi injuste et injustifiée, parce que les codes de la société où elle vivait alors, lui interdisaient de sortir de sa condition de domestique, et surtout, lui interdisaient cette part de rêve à laquelle chaque être humain a droit et dont il a besoin pour tenir debout.
Epoque si dure pour les femmes de toutes conditions sociales, pire encore pour celles de condition modeste ou pauvre, pire encore pour les femmes artistes. Nous ne connaissons pas notre chance et nous leur devons tant.
Par ce film et par cette expostion qui lui sont consacrés, justice lui est un peu rendue, et elle ne pourra qu'être heureuse de voir qu'elle sera servie remarquablement par Yolande Moreau, comédienne hors normes.
Je ne suis pas une cinéphile avertie et les salles obscures m'oppressent, mais je pense que je vais acheter quelques livres et surtout le catalogue de l'exposition qui lui est dédiée. Et peut-être aurons-nous le plaisir d'aller découvrir à Paris l'exposition en question.