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Ciboulette et ses deux mains gauches !
16 décembre 2007

Les Trois Messes Basses - Deux dindes truffées,

messe_minuit_01

Les Trois Messes Basses

- Deux dindes truffées, Garrigou ?...

- Oui, mon Révérend, deux dindes magnifiques bourrées de truffes. J'en sais quelque chose, puisque c'est moi qui ai aidé à les remplir. On aurait dit que leur peau allait craquer en rôtissant, tellement elle était tendue...

- Jésus, Maria ! moi qui aime tant les truffes ! Donne moi vite mon surpli, Garrigou... et avec les dindes, qu'est-ce que tu as encore aperçu à la cuisine ?...

- Oh ! toutes sortes de bonnes choses... depuis midi nous n'avons fait que plumer des faisans, des huppes, des gelinottes, des coqs de bruyère. La plume en volait partout... Puis de l'étang on a apporté des anguilles, des carpes dorées, des truites, des...

- Grosses comment, les truites, Garrigou ?

- Grosses comme ça, mon Révérend... Enormes !

- Oh mon Dieu ! Il me semble que je les voie... As-tu mis le vin dans les burettes ?

- Oui mon Révérend ! j'ai mis le vin dans les burettes... Mais dame ! il ne vaut pas celui que vous boirez tout à l'heure en sortant de la messe de minuit. Si vous voyiez cela dans la salle à manger du château, toutes ces carafes qui flambent pleines de vins de toutes les couleurs... Et la vaisselle d'argent, les surtouts ciselés, les fleurs, les candélabres ! Jamais il ne se sera vu un réveillon pareil. Monsieur le Marquis a invité tous les seigneurs du voisinage. Vous serez au moins quarante à table, sans compter le bailli ni le tabellion.. Ah vous en êtes bien heureux d'en être, mon Révérend ! Rien que d'avoir faliré ces belles dindes, l'odeur des truffes me suit partout...

- Allons, allons mon enfant. Gardons-nous du péché de gourmandise, surtout la nuit de la Nativité.. Va vite m'allumer les cierges et sonner le premier coup de la messe ; car voilà que minuit est proche, et il ne faut pas nous mettre en retard.

Cette conversation se tenait une nuit de Noël de l'an de grâce mil six cent et tant, entre le Révérend Don Balagère, ancien Prieur des Barnabites, présentement chapelain gagé des sires de Trinquelage, et son petit clerc Garrigou, ou du moins ce qu'il croyait être son le petit clerc Garrigou, car vous saurez que le diable, ce soir-là, avait pris la face ronde et les traits indécis du jeune sacristain pour mieux induire le Révérend Père en tentation et lui faire commettre un épouvantable péché de gourmandise.

Donc, pendant que le soit-disant Garrigou faisait à tour de bras carillonner les cloches de la chapelle seigneuriale, le Révérend achevait de revêtir sa chasuble dans la petite sacristie du château ; et, l'esprit déjà troublé par toutes ces descriptions gastronomiques, il se répétait à lui-même en s'habillant :

- des dindes rôties... des carpes dorées... des truites grosses comme ça...

Dehors, le vent de la nuit soufflait en éparpillan la musique des cloches, et, à mesure, des lumières apparaissaient dans l'ombre aux flancs du mont Ventoux, en haut duquel s'élevaient les vieilles tours de Trinquelage. C'étaient des familles de métayers qui venaient entendre la messe de minuit au château. Ils grimpaient la côte en chantant par groupes de cinq ou six, le père en avant, la lanterne à la main, les femmes enveloppées dans leurs grandes mantes brunes où les enfants se serraient et s'abritaient. Malgré l'heure et le froid, tout ce brave peuple marchait allègrement, soutenu par l'idée qu'au sortir de la messe, il y aurait, comme tous les ans, table mise pour eux en bas dans les cuisines. De temps en temps, sur la rude montée, le carrosse d'un seigneur précédé de proteurs de torches, faisait miroiter ses glaces au clair de lune, ou bien une mule trottait en agittant ses sonnailles, et à la lueur des falots enveloppés de brume, les métayers reconnaissaient leur bailli et le saluaient au passage :

- bonsoir bonsoir Maître Arnoton !

- bonsoir bonsoir mes enfant !

La nuit était claire, les étoiles avivées de froid ; la bise piquait, et un fin grésil, glissant sur les vêtements sans les mouiller, gardait fidèlement la tradition des Noëls blancs de neige. Tout en haut de la côte, le château apparaissait comme le but, avec sa masse énorme de tours, de pignons, le clocher de sa chapelle montant dans le ciel bleu-noir, et une foule de petites lumières qui clignotaient, allaient et venaient, s'agitaient à toutes les fenêtres et ressemblaient, sur le fond sombre du bâtiment, aux étincelles courant dans les cendres de papier brûlé... passé le pont-levis et la porterne, il fallait pour se rendre à la chapelle, traverser la première cour toutes claire du feu des torches et de la flambées des cuisines. On entendaitle tintement des tournebroches, le fracas des casseroles, le choc des cristaux et de l'argenterie remués dans les apprêts d'un repas ; par là-dessus, une vapeur tiède qui sentait bon les chairs rôties et les herbes fortes des sauces compliquées, faisait dire aux métayers comme au chapelain, comem au bailli, comme à tout le monde :

- quel bon réveillon nous allons faire après la messe !

Drelindin din ! drelindin din ! 

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Commentaires
M
Bravo et Merci.<br /> Gros gros bisous de... Fréjus où il fait très chaud en comparaison de l'auvergne. Ce matin -10 at home et ici 16° Ah The SUD! ;-)
L
... racontées par Fernandel sur un vieux 33 tours! Ces histoires ont enchanté mon enfance !<br /> Et maintenant, j'en ai l'eau à la bouche !!!<br /> <br /> Grosses bises, Ciboulette !
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