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Ciboulette et ses deux mains gauches !
16 décembre 2007

C'est la messe de minuit qui commence. Dans la

C'est la messe de minuit qui commence. Dans la chapelle du château, une cathédrale en miniature, aux arceaux entrecroisés, aux boiseries de chêne, montant jusqu'à hauteur des murs, les tapisseries ont été tendues, tous les cirges allumés. Et que de monde ! Et que de toilettes ! Voici d'abord, assis dans les stalles sculptéess qui entourent le choeur, le sire de Trinquelage, en habit de taffetas saumon, et près de lui tous les nobles seigneurs invités. En face, sur des prie-Dieu garnis de velours, ont pris place la vieille marquise douairière dans sa robe couleur de feu et la jeune dame de Trinquelage, coiffée d'une haute tour de dentelle gauffrée à la dernière mode de la cour de France. Plus bas on voit, vêtus de noir avec de vastes perruques en pointe et des visages rasés , le bailli Thomas Arnoton et le tabellion Maître Ambroy, deux notes graves parmi les soies voyantes et les damas brochés. Puis viennent les gras marjordomes, les pages, les piqueurs, les intendants, dame Barbe, toutes ses clefs pendues sur le côté à un clavier d'argent fin. Au fond, sur les bancs, c'est le bas office, les servantes, les métayers avec leurs familles ; et enfin, là-bas, tout contre la porte qu'ils entrouvent et referment discrètement, messieurs les marmitons qui viennent entre deux sauces prendre un petit air de messe et apporter une odeur de réveillon dans l'église toute en fête et tiède de tant de cierges allumés.

Est-ce la vue de ces petites barrettes blanches qui donne des distractions à l'officiant ? Ne serait-ce pas plutôt  la sonnette de Garrigou, cette enragée petite sonnette qui s'agite au fond de l'autel avec une précipitation infernale et semble dire tout le temps :

- dépêchons-nous, dépêchons-nous... plus tôt nous aurons fini, plus tôt nous serons à table.

Le fait est que chaque fois qu'elle tinte, cette sonnette du diable, le chapelain oublie sa messe et ne plus qu'au réveillon. Il se figure ls cuisiniers en rumeur, les fourneaux où brûle un feu de forge, la buée qui monte des couvercles entrouverts, et dans cette buée deux dindes magnifiques bourrées, tendues, marbrées de truffes... Ou bien encore il voit passer des files de pages portant des plats enveloppés de vapeurs tentantes, et avec eux il entre dans la grande salle déjà prête pour le festin. Ô délices ! voilà l'immenses table toute chargée et flamboyante, des paons habillés de leurs plumes, les faisans écartant leur ailes mordorées, les flacons couleur de rubis, les pyramides de fuits éclatants parmi les branches vertes, et ces merveilleux poissons dont parlait Garrigou (ha ! bien oui, Garrigou !) étalés sur un lit de fenouil, l'écaille nacrée comme s'ils sortaient de l'eau, avec un bouquet d'herbes odorantes dans leurs narines de monstres. Si vive est la vision de ces merveilles, qu'il semble à Dom Balaguère que tous ces plats mirifiques sont servis devant lui sur les broderies de la nappe de l'autel, et deux ou trois fois, au lieu de Dominus vobiscum ! il se surprend à dire le Benedicite. A part ces légères méprises, le digne homme débite son office très consciencieusement, sans passer une igne, sans omettre une génuflexion ; et tout marche assez bien jusqu'à la fin de la première messe ; car vous savez que le jour de Noël, le même officiant doit célébrer trois messes consécutives.

- Et d'une ! se dit le chapelain avec un soupir de soulagement ; puis, sans perdre une minute, il fait signe à son cler ou celui qu'il croit être son clerc, et...

Drelindin din ! drelindin din !

C'est la seconde messe qui commence, et avec elle commence aussi le péché de Dom Balaguère.

- vite, vite dépêchons-nous, lui crie de sa petite voix aigrelette la sonnette de Garrigou.

Et cette fois, le malheureux officiant, tout abandonné au démon de la gourmandise, se rue sur le missel et dévore les pages avec l'avidité de son appétit en surexitation. Frénétiquement il se baisse, se relève, esquisse les signes de croix, les génuflexions, raccourcit tous ses gestes pour avoir plus tôt fini. A peine s'il étend ses bras à l'Evangile, s'il frappe sa poitrine au Confiteor. Entre le clerc et lui c'est à qui bredouilleras le plus vite.

Versets et répons se précipitent, se bousculent. Les mots à moitié prononcés, sans ouvrir la bouche, ce qui prendrait trop de temps, s'achèvent en murmures incompréhensibles.

- Oremus... ps... p, ç,... p,i...

- Mea culpa... pa... pa...

Pareils à deux vendangeurs pressés foulant le raisin de la cuve, tous deux barbotent dans le latin de la messe, en envoyant des éclaboussures de tous les côtés.

- Dom... scum... dit Balaguère.

- Stutuo ! répond Garrigou.

Et tout le temps la damnée petite sonnette est là qui tinte à leurs oreilles, comme ces grelots qu'on met aux chevaux de poste pourles faire galoper à la grande vitesse. Pensez qu'à ce train-là une messe basse est vite expédiée.

- Et de deux ! dit le chapelain tout essouflé ; puis sans prendre le temps de respirer, rouge, suant, il dégringole les marches de l'autel et...

Drelindin din ! drelindin din !

C'est la troisième messe qui commence !

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